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La Ville dans le Miroir - Mirko Kovač

La Ville dans le Miroir - Mirko Kovač

25,00 €Prix

L’édition originale a cumulé le prix Vladimir Nazor du meilleur roman croate de l’année, le prix August Šenoa de la Matica hrvatska, le prix Meša Selimović de la Ville de Tuzla pour le meilleur roman serbe, croate, bosnien et monténégrin, et le prix “13 juillet”, plus haute récompense littéraire du Monténégro.

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"La Ville dans le Miroir" a figuré dans la sélection pour le Prix Grenette 2011

 

Roman, 2010
308 pages.
ISBN: 978-2-930333-33-5
25 EUR

Titre original "Grad u Zrcalu"
Traduction du croate par
Spomenka Džumhur et Gérard Adam
 

La “ville dans le miroir”, c’est Dubrovnik, la prestigieuse, qui, dans son enfance, exerçait sur l’écrivain une fascination quasi mystique, mais aussi l’ogresse qui, régulièrement, “grâce à quelque sorcellerie, capturait et séquestrait” son père, commerçant pauvre, bohème et philosophe, quand mère et enfant s’alliaient pour survivre dans les premières années de la Yougoslavie titiste.
Roman autobiographique, ce “nocturne” familial, comme le qualifie l’auteur, à la fois tendre, mélancolique et sans complaisance, infiltré de brèves réflexions sur la littérature et l’existence, est empreint de la pensée que “notre vie n’aura pas été ce que nous avons vécu, mais ce dont nous nous souvenons.”
Un écrivain majeur fouille ses racines en quête des sources de son inspiration.

 

Lien de l'ebook

Ce manuscrit est longtemps resté dans un tiroir, et pourtant j’avais voulu le publier, le croyant terminé, après avoir effectué les dernières corrections et supprimé quelques fautes, j’avais même demandé à l’imprimeur deux tirés à part, soit six ou sept chapitres, et puis, la nuit précédant l’impression, j’ai fait un rêve aussi clair qu’une vision, qui s’écoulait dans la mer. Le livre était paru, on m’appelait à l’imprimerie pour me montrer les premiers exemplaires. Je le tenais en main, j’étais heureux de le voir bien fait, mais je n’avais personne avec qui partager ma joie, autour de moi il n’y avait que des ouvriers imprimeurs, des visages tout à fait inconnus. Ils m’observaient, attendant que j’empoigne le livre, le regarde, le feuillette, ce que d’ailleurs je faisais, mais à ce moment s’est produit quelque chose de pénible, qui m’a rendu triste et en même temps m’a terrifié : les pages que je feuilletais se détachaient et s’éparpillaient autour de moi, et les ouvriers riaient, prenant un malin plaisir à cette mystification. J’ai saisi un deuxième exemplaire, un troisième, un quatrième, d’autres encore, tous se décomposaient de la même façon ; il ne me restait entre les mains que les couvertures, pareilles à des ossements, et un ouvrier imprimeur m’a dit : « Vous avez écrit un livre qui se décompose. » Je me suis agenouillé par terre, j’ai ramassé quelques feuillets des ouvrages détruits, j’ai voulu en lire tout haut quelques lignes, mais n’ai pas été capable de prononcer le moindre mot, ma voix me trahissait tant j’étais épouvanté de voir mon livre publié dans une écriture incompréhensible, faite de caractères inconnus ; je pouvais seulement comprendre que, sur chaque page, était inscrit mon nom. Je me suis réveillé en sursaut, trempé de sueur, hors d’haleine, et, sous le coup de ce rêve, j’ai retiré le manuscrit de l’imprimerie, peut-être de façon naïve et précipitée, mais j’ai interprété ce cauchemar angoissant comme le décret d’une censure intérieure m’interdisant de le publier parce que je n’étais pas prêt à revivre les épreuves et traumatismes du livre précédent, mis au pilon et transformé en papier de recyclage. Quand j’ai communiqué ma décision au directeur de la maison d’édition, il a exigé une explication.
« Tout écrivain doit avoir un manuscrit inachevé sur lequel il travaillera sans relâche et corrigera perpétuellement, car l’écriture est un acte intime, impudique, je vais donc garder ce manuscrit pour ma lubricité des prochaines années », ai-je répondu.
Des années, il s’en est écoulé une vingtaine, toutes les lubricités se sont depuis longtemps éteintes, le livre est enfin publié dans des circonstances tout autres, une version quelque peu épurée, peaufinée encore, et si quelqu’un se décide à y jeter un œil, si quoi que ce soit l’incite au « vice de la lecture », il pourra lui sembler que j’ai accordé dans ces pages trop d’espace à mon père, qu’il n’a pas les qualités requises pour un personnage de caractère ; mais je l’ai introduit dans le livre, ainsi que d’autres membres de ma famille, que nombre de figurants à peine effleurés, dans le seul but de tenir le plus possible dans l’ombre ma propre place et non pour exprimer à leur égard des émotions particulières. J’en avais déjà par-dessus la tête d’être entraîné sur les rails étroits du train familial, entraîné si longtemps pour en fin de compte m’apercevoir que je n’avais pas quitté la gare dont j’étais parti, car nul n’a une ville à jamais, en dépit du fait que nous nous évertuons à nous persuader que notre place est là où nous sommes, alors que Pierre-Jean Jouve l’a si bien chanté : « Nous sommes là où nous ne sommes pas ». Je le dirai sans ambages, je me suis épuisé à écrire différentes versions des mêmes événements et, pour ce faire, à plusieurs reprises, me suis détourné de livres déjà prêts ; j’aurais fait pareil à présent si je n’avais entre-temps compris qu’il me fallait accepter paisiblement toutes les contradictions, sans regret et sans nostalgie, et ne raconter que les événements qui se présentaient clairement à ma mémoire, m’en tenant exactement au précepte d’un des meilleurs écrivains de notre temps, si célèbre qu’il est inutile de citer son nom : « Notre vie est ce dont nous nous souvenons, pas ce que nous avons vécu. »

 

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